Dans la version japonaise, Non interprète Suzu, l’héroïne du film.(Interview mise en ligne en août 2016)
Q. Quelle a été votre réaction lorsque le rôle vous a été proposé ?
A. J’étais vraiment très, très heureuse ! Je planais littéralement, mes pieds ne touchaient plus terre !
Q. Pourquoi avez-vous accepté ce rôle difficile ?
A. J’ai pu voir des images du film, j’ai lu le manga, et je me suis tout de suite dit que ce serait une grande œuvre. Et ça m’a donné très envie d’y participer.
Q. Qu’avez-vous ressenti à la lecture du manga ?
A. J’avoue que je n’aime pas les scènes de guerre et de violence, et il m’est arrivé de détourner le regard. Je voyais cela (la guerre) comme un événement hors du temps et du quotidien, mais après avoir lu le manga, j’ai commencé à réaliser que la vie quotidienne et la guerre avaient probablement cohabité, et je me suis dit qu’il fallait j’essaye de regarder la réalité.
Q. Comment s’est passé le travail de doublage ?
A. J’ai vite compris que c’était un autre monde. Lorsque j’interprète un rôle où j’utilise tout mon corps, je peux m’appuyer sur ce que je ressens physiquement, sans penser à rien. Par contre, dans le cas du doublage, tout doit passer la voix et c’est très difficile. C’était donc très différent, mais j’ai pris beaucoup de plaisir.
Q. Quel effet cela fait-il « d’entrer » dans l’univers du dessin animé ?
A. Lorsqu’on a m’a montré des images du film, aucune voix n’avait été intégrée, pourtant j’ai été émue aux larmes. J’ai tout de suite pensé que ce serait difficile de poser une voix sur ces images, mais j’étais déterminée à réussir.
Q. Y a-t-il des scènes et des dialogues que vous avez aimé jouer particulièrement ?
A. Bien sûr, il y en a plein ! Par exemple, la scène de la dispute avec Shûsaku. Suzu est fâchée, pour toute autre chose, mais elle finit par faire des reproches sur ses chaussettes. Il y a aussi le moment où elle cache sa calvitie. Je peux aussi citer le passage où Keiko aide Suzu à se changer. Elles parlent avec l’accent d’Hiroshima, et j’ai trouvé ça très mignon.
Q. À ce propos, était-il difficile de jouer en prenant l’accent d’Hiroshima ?
A. Ah, ça, oui ! (sourire embarrassé) Dans certains passages, c’est proche du japonais standard, mais dans d’autres, c’est le vocabulaire lui-même qui change, et l’accent a des sonorités qui rappellent celui de la région du Kansai. Et parfois, il y a la même intonation que le langage standard, ce qui complique encore l’exercice. J’avoue que ça donne beaucoup de charme et j’ai fait de mon mieux pour que ça sonne juste.
Q. Quels ont été les difficultés et les plaisirs du doublage ?
A. Au début, c’était très nouveau pour moi, et j’étais vraiment déstabilisée, mais avec le temps, j’ai commencé à apprécier l’exercice qui consiste à insuffler de la vie aux dessins. J’ai compris tout le travail que réalisaient les doubleurs d’habitudes et c’était passionnant.
Q. Quel travail particulier avez-vous effectué pour entrer dans la peau de Suzu ?
A. Tout d’abord, j’ai pris en considération que Suzu n’exprimait pas un rejet complet de la guerre, mais qu’elle l’acceptait en menant sa vie quotidienne avec force et courage. J’avais eu l’occasion de voir une œuvre d’Arman, « Home Sweet Home », lors de l’exposition « Les chefs d’œuvre du centre Pompidou » à Tokyo. Elle représente des masques à gaz, avec le sous-titre : »l’artiste a créé cette œuvre comme une antithèse à la guerre, aujourd’hui quotidienne dans le monde ». Quand j’ai lu le manga, j’y ai repensé. L’artiste a connu la guerre et témoigne. Au quotidien, pendant la guerre, les bombes peuvent tomber du ciel à tout moment. Je me suis appuyée sur cette sensation pour jouer mon rôle.
Q. D’après vous, quel genre de femme est Suzu ? Avez-vous des points communs avec elle ?
A. Lorsqu’elle ressent une émotion, elle se met à dessiner avec beaucoup d’énergie, et je comprends parfaitement cette réaction. On peut la voir comme une femme rêveuse, mais elle sait être dynamique et positive, et c’est un trait de personnalité qui me correspond aussi. Dans le film, on la voit qui arrange un kimono pour le moderniser, et j’aimerais bien m’y essayer moi aussi.
Q. Dans le film, bien que ce soit en temps de guerre, Suzu profite de sa vie quotidienne avec joie. Y a-t-il des choses que vous aimeriez faire comme elle ?
A. Je vous ai déjà parlé du kimono que Suzu coupe pour en faire un pantalon de travail, mais il y a aussi le riz aux herbes sauvages que j’aimerais bien essayer de préparer. Suzu travaille dur, elle trouve un vrai plaisir à faire des économies, à tenter de nouveaux plats, et ça m’a beaucoup plu.
Q. Parlons des personnages de l’entourage de Suzu. Les femmes qu’elles côtoient sont pleines de charmes, mais que pensez-vous d’elles ? Quels sont les personnages et les scènes qui vous ont marquée ?
A. Les relations entre elles sont très intéressantes, mais personnellement, c’est celle qu’elle entretient avec Rin que je préfère. C’est lorsque Suzu est avec elle qu’elle est certainement la plus naturelle : elle s’est mariée très jeune et elle fait de son mieux pour assumer toutes ses tâches, mais elle reste une enfant au fond d’elle, et je crois qu’on ne la voit que lorsqu’elle est en compagnie de Rin.
Q. Les hommes ne sont pas en reste. Suzu est prise entre Shûsaku et Tetsu. Que pensez-vous de cette scène ?
A. Elle est très amusante, mais objectivement, même si on a l’impression que les sentiments de Suzu sont hésitants, elle est fâchée contre Shûsaku qui l’envoie auprès de Tetsu, et elle est colère contre Tetsu qui tente sa chance alors qu’il sait qu’elle est maintenant mariée. Suzu est une belle personne, honnête et fidèle. C’est l’interprétation du réalisateur et elle me plaît beaucoup. On voit que Suzu ménage les deux hommes, mais elle ressent malgré tout de la colère et j’aime bien cela.
Q. Comment s’est passé le travail avec Sunao Katabuchi ?
A. C’était très instructif et stimulant. Lorsque je me suis posé des questions sur Tetsu, le réalisateur m’a donné des explications qui m’ont convaincue. Je n’arrêtais pas de lui poser des questions, avec insistances, et il répondait à tout. C’était un soutien précieux pour Suzu.
Q. « Dans un recoin de ce monde » est un film dont la production a pu être mise en route grâce au système de financement participatif. Quel effet cela fait-il d’avoir pris part à un tel projet ?
A. Je trouve formidable que des personnes se soient mobilisées pour manifester leur soutien et leur volonté de faire ce film avec nous parce qu’ils avaient envie de le voir. Je suis très heureuse d’avoir participé à ce projet.
Q. Quelles ont été vos impressions à l’écoute de la chanson de Kotringo, « kanashikute yarikirenai » ?
A. Grâce au travail de Kotringo, la chanson s’intègre parfaitement à l’ambiance du film, à ses paysages. On a l’impression qu’on va vraiment pouvoir sentir l’air de Kure sur nos visages, et c’est magique.
Q. Avez-vous un message à transmettre aux personnes qui attendaient la sortie du film impatiemment ?
A. Ce film a le don de nous faire comprendre à quel point vivre normalement et simplement est une source de bonheur. J’espère qu’elles le ressentiront. Je souhaite vraiment que beaucoup aillent le voir en famille. C’est un film chargé d’émotions qu’il est important de partager.